Discours de Francis MBELLA, 7éme Congrès Mondial Scientifique
« l’Humain, la Science et l’Art dans la raison sociale »
5, 6, 7 Septembre 2016, Palais des Nations unies - Genève
La nature a mis en dépôt dans les grandes imaginations futures, plus de nouveautés à dire sur ses créations qu’elle n’a crée de choses.
Dans cette communication, il s’agit de persuader que les concepts fondamentaux de l’art, par exemple, les distinctions du sujet et de l’objet, de l’essence et du fait, de l’être et du néant, les notions de conscience, d’image, de chose dont il est fait constamment usage impliquent déjà une interprétation singulière du monde et ne peuvent prétendre à une dignité spéciale quand notre propos est justement de nous remettre en face de notre expérience, pour chercher en elle la naissance du sens. Pourquoi est-il devenu nécessaire de prendre un nouveau départ ? Pourquoi ne pouvons-nous plus communiquer dans le cadre des anciens systèmes, ni même bâtir sur le sol où nous les voyons, si différent soient-ils dans leur orientation, prendre leurs racines ? Voilà ce que cette réflexion s’efforcera d’élucider tout d’abord, avant d’entamer le parti-pris sur la logique et le sens humain de l’art. Considérations préliminaires, croirait-on donc ? Et pourtant telle est la nature de l’art.
Le rapide survol de l’histoire révèle combien sont parallèles le cours de l’art et celui de la pensée à travers les siècles. L’un et l’autre apparaissent avec leurs moyens si différents, comme la transposition sur des registres divers d’une commune structure, qui définit l’époque, sa position à l’égard du passé, qu’elle prolonge ou qu’elle élimine et de l’avenir qu’elle bâtit. Mais cette collision, si évidente lorsqu’on envisage les grandes lignes, reste-t-elle valable dans les cas particuliers ?
Il semble que l’artiste doit échapper à cette communauté fatale puisqu’il est par excellence un témoin d’originalité et d’exception. Pourtant, s’il vaut par la qualité et l’accent qu’il confère aux données dont il part, ces données ne lui sont pas moins fournies par son temps et il les partage avec ses contemporains.
Il ne suffit pas de faire le tour d’un problème et de voir comment il se présente. L’enquête réclame une conclusion. L’art nous a peut-être laissé déchiffrer ses ressources et ses modalités, le pouvoir de création que l’homme y trouve et le pouvoir que l’homme y trouve d’explorer l’homme. Mais il ne servira qu’à satisfaire les curiosités de la connaissance, tant qu’il n’aura pas été sommé de révéler sa fonction et son but. Lourde question, qu’il est déjà téméraire de poser et à laquelle il l’est encore plus, d’espérer trouver réponse satisfaisante.
A quoi sert l’art ? Ont souvent demandé les esprits positifs. Ceux-ci ne risquent pas de rencontrer la réponse tant qu’ils resteront enfermés dans les limites étroites de leur positivisme, et qu’ils entendront continuer d’ignorer les exigences essentielles de la vie humaines.
Nous avons des fonctions organiques : nous avons besoin d’aliments pour nous nourrir, nous avons besoin d’air pour respirer… Mais il est tout aussi évident que nous avons des fonctions spirituelles qui doivent aussi impérieusement être assurés. Il serait donc arbitraire, dans cette complexité de l’homme, qui va du corps à l’âme, de ne vouloir tenir compte que de ses rapports avec le monde physique. En chaque homme et entre tous les hommes est établie une réalité morale qui réclame de vivre et de s’épanouir par ses moyens propres et pour ses fins propres.
Sur ce plan, l’art apparaît absolument essentiel. La preuve en est qu’il n’y a pas eu, depuis les origines, une seule société humaine qui ait pu se passer de l’art et qui ne lui i trouvé une forme à son échelle. Voilà qui suffit sans doute à écarter toutes les doctrines qui feraient de l’art un enjolivement de la vie, tout autant que celles qui le définissent, comme une activité de jeu, l’entachant ainsi d’un soupçon de gratuité.
En vérité, le rôle de l’art est beaucoup plus important. On pourrait dire que de la même manière que l’organisme ne saurait vivre sans échanges avec le monde extérieur (par exemple à travers la respiration), l’art est nécessaire à la vie mentale pour laquelle il constitue une sorte de respiration. Son rôle et son utilité ne se découvrent que si l’on se hausse jusqu’au plan philosophique. Et c’est la condition de l’homme et son principe qu’il est nécessaire d’envisager si l’on désire mesurer la place que l’art y occupe.
Un objet artistique n’est jamais seulement esthétique. Il se trouve engagé dans la réalité humaine et sociale par un ensemble complexe de liaisons. Un palais est à la fois, une habitation et un symbole du pouvoir et des hiérarchies. Un tableau est à la fois objet de qualité, marchandise et signe. Une symphonie ou un quatuor sont à la fois un ensemble signifiant au signe une valeur symbolique. C’est une fois encore considérer que l’œuvre, le signe, répondent globalement et totalement à autre chose qu’à eux-mêmes. La réalité est toute différente.
Ceux qui sont accoutumés à juger par le sentiment ne comprennent rien aux choses de raisonnement car ils veulent d’abord pénétrer d’une vue et ne sont point accoutumés à chercher les principes. Et les autres, au contraire, qui sont accoutumés à raisonner par principes ne comprennent rien aux choses de sentiment, y cherchant des principes et ne pouvant voir d’une vue. On se persuade mieux pour l’ordinaire, par les raisons qu’on a soi-même trouvées, que par celles qui sont venues dans l’esprit des autres. Puisqu’on ne peut être universel et savoir tout ce qui se peut savoir sur tout, il faut savoir peu de tout. Car il est bien plus beau de savoir quelque chose de tout que de savoir tout d’une chose, cette universalité est la plus belle. Si on pouvait avoir les deux, encore mieux, mais s’il faut choisir, il faut choisir celle-là, et le monde le sent et le fait car le monde est un bon juge souvent.
L’art est définitif le moment de l’extériorité, il dévoile la vérité elle-même. La finalité de l’art est de réapprendre ce qu’est le visible. Mon propos est de restaurer cette dimension de vérité perdue par l’abus et la dictature de l’intelligible, autrement dit, de restaurer cette dimension de vérité que l’art avait perdu depuis que le sensible était inférieur à l’intelligible.
Francis MBELLA, Palais des Nations Unies, Genève le 06 Septembre 2016.